La pension de réversion, pilier méconnu du système de retraite français, continue de favoriser les hommes mariés devenus veufs. Près de quatre millions de personnes en bénéficient aujourd’hui, pour un coût global de près de 39 milliards d’euros. Derrière ce mécanisme censé protéger le conjoint survivant se cache une tension ancienne entre logique individuelle et solidarité conjugale. Une étude conjointe de l’Institut des politiques publiques (IPP) et de l’Institut national d’études démographiques (Ined) décrypte ce paradoxe et questionne la place du couple dans un système fondé, en principe, sur les carrières personnelles.
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Un dispositif conjugal dans un système individuel
Le système français de retraite repose sur une logique contributive : chacun cotise pour soi. Pourtant, la pension de réversion y introduit une exception majeure, en transférant une partie des droits du conjoint décédé au survivant — à condition d’être marié. Cette dérogation crée une enclave de solidarité conjugale dans un cadre conçu pour l’indépendance des assurés.
Cette incohérence n’a jamais été réellement discutée. La retraite reste un droit personnel, mais la loi fixe aussi l’objectif de maintenir un niveau de vie satisfaisant.
Or, cette notion dépend du foyer et non de l’individu. Le système se trouve ainsi piloté par un indicateur — le niveau de vie — qui repose sur la composition du ménage, en contradiction avec son principe fondateur.
L’évolution des formes de vie commune accentue cette tension. Les séparations, divorces et unions libres se multiplient, alors que le dispositif reste centré sur le mariage. D’autant que la réversion est financée collectivement, les cotisations des non-mariés participant indirectement à la solidarité envers les couples mariés.
Le bénéfice discret du mariage
L’analyse statistique menée par l’IPP et l’Ined montre que le mariage demeure une protection économique. En 2020, 64 % des hommes et 56 % des femmes étaient encore mariés à l’entrée en retraite. Les écarts de pension entre statuts conjugaux restent importants, avec un avantage net pour les couples mariés.
| Statut conjugal | Retraite moyenne hommes (€) | Retraite moyenne femmes (€) | Niveau de vie du ménage (€/mois, par UC) |
|---|---|---|---|
| Marié(e) | 2 160 | 1 330 | 2 340 |
| Célibataire | 1 360 | 1 550 | 1 550 |
| Divorcé(e) | 1 830 | 1 600 | 1 680 |
| Veuf(ve) | 1 980 | 1 420 | 2 100 |
Ces différences s’expliquent par la mutualisation des ressources et les économies d’échelle de la vie en couple.
Les femmes mariées perçoivent des pensions individuelles plus faibles, mais bénéficient d’un niveau de vie global supérieur grâce aux revenus du ménage. Pour les hommes, la réversion compense largement la perte de revenu liée au veuvage.
Les veufs mariés voient ainsi leur niveau de vie se maintenir, tandis que les partenaires pacsés ou en union libre subissent une baisse moyenne de 30 % après le décès de leur conjoint. Le mariage reste donc le seul statut véritablement protecteur dans la vieillesse.
Une révolution des pensions de réversion en 2026 pour les pacsés pourrait toutefois rebattre les cartes, en ouvrant la voie à une reconnaissance accrue des autres formes d’union.
Trois pistes pour repenser le dispositif
Les chercheurs de l’IPP et de l’Ined appellent à clarifier le rôle que doit jouer le couple dans la retraite. Trois orientations se dessinent :
- Compenser les effets de la parentalité sur les carrières : il s’agirait de transformer la réversion en droits familiaux individuels, notamment pour les mères ayant interrompu leur activité
- Corriger la pénalité de la vie seule : cette approche consisterait à accorder des droits supplémentaires à toutes les personnes isolées, quelle que soit leur situation matrimoniale
- Prolonger la solidarité du couple après le décès : une réforme dite de splitting répartirait les droits à la retraite entre les conjoints, sur le modèle de certains pays d’Europe du Nord
Je m’intéresse aux questions économiques, à la vie des entreprises et aux enjeux liés à la retraite. À travers mes articles, je décrypte l’actualité du monde du travail et du patrimoine, avec l’objectif d’apporter des informations claires, pratiques et utiles à celles et ceux qui souhaitent mieux comprendre les évolutions du système économique et leurs impacts sur leur quotidien.